Carnet de route

A dix-huit ans je fais mon premier grand voyage, en Inde. Une expérience fondamentale qui est inscrite en creux de ce qui guidera mon parcours. Le choc de la pauvreté en même temps que celui de la grandeur des philosophies traditionnelles ancestrales polarisent mon attachement au monde à la question de l’altérité. La diversité du vivant est le moteur de sa créativité et donc de sa survie dans l’espace et le temps, toutefois dès lors que l’on s’éprend à accepter de la vivre plutôt que de s’évertuer à vouloir la dominer.

Après un bac scientifique je m’engage dans des études supérieures en Sciences de la Nature et du Vivant. En même temps que j’étudie je cherche ma voie professionnelle et trouve un élan pour le journalisme scientifique. La filière que je repère réclame un bon niveau d’anglais. Je profite d’un jumelage franco-américain au sein de ma faculté et poursuis un semestre universitaire aux Etats-Unis. Là-bas je travaille pour une antenne de la National Public Radio, en tant qu’assistante technique. Je classe, trie et participe aux campagnes de promotion pour lever des fonds servant à financer la radio publique américaine, auprès des auditeurs-donateurs. Je prends des cours d’anglais, rencontre des étudiants du monde entier et voyage à travers le pays. Ce voyage est à l’opposé de mon premier grand voyage avec une différence, celle d’avoir été accueillie par deux femmes, une mère et sa fille avec qui je suis encore en contact aujourd’hui. Janel Marsh était comme une maman à la présence discrète, la voix douce et la profondeur d’un regard aux lueurs amérindiennes. De ce vécu je reste marquée par l’immensité des paysages, l’architecture en gratte-ciel, l’opulence des rayons de supermarché et l’obésité des corps.

De retour en France j’échoue au concours d’entrée pour le journalisme scientifique. Forte de mon expérience américaine, je m’inscris en Technique et Langage des Médias à La Sorbonne-Paris IV où je reçois les cours de l’historien et pilier de la télévision française Pierre Miquel, ainsi que ceux de la philosophe et écrivaine Odile Weulersse. Avec eux j’apprends le langage des images, l’écriture du journalisme-reportage, celle du scénario et la sémiologie. Je fais mes premières rencontres avec le cinéma en tant que stagiaire mise-en-scène sur un long-métrage franco-hongrois réalisé par Ildiko Eneydi qui avait obtenu la caméra d’or à Cannes pour son film « Mon XXème siècle ». Puis je découvre l’univers de la télévision en exerçant les fonctions d’assistante de production sur une chaîne d’animation pour enfants. Pour laquelle je deviens scénariste des programmes courts de l’habillage. De fil en aiguille, je réalise mon premier film au sein d’une Maison d’Accueil Spécialisée.

Puis je pars vivre dans le sud de la France, et travaille avec Martin Figère, réalisateur et producteur auprès de qui je développe mes compétences techniques dans le tournage et montage numériques, animant des ateliers vidéo dans les écoles et lycées ainsi que réalisant des reportages sur la vie locale. Je m’engage également au sein d’une radio associative, prêtant ma voix pour ses matinales puis pour l’actualité cinéma de Kaléidoscope, une émission culturelle hebdomadaire que je cofonde avec un éditorialiste de la presse culturelle.

De retour à Paris je travaille pendant plusieurs années au sein de différentes productions documentaires pour la télévision ainsi que pour le cinéma d’auteur. Pendant cette période j’exerce différents métiers d’assistanat de production, de réalisation et de scripte. En même temps que je poursuis ma formation théâtrale, et réalise mon deuxième film qui reçoit le Label Fraternité, Grande Cause Nationale de son année de création.

C’est une période professionnelle riche et foisonnante ponctuée de rencontres marquantes, notamment avec le cinéaste et écrivain Jérôme Prieur que j’assiste sur plusieurs de ces films. Mais aussi Sabine Lancelin, directrice de la photographie autodidacte qui a fait l’image de grands auteurs du cinéma et du documentaire. Ou encore l’exploratrice et écrivaine Jérômine Pasteur pour qui j’ai préparé le tournage au Pérou de son film sur le peuple Ashaninka. Et aussi le musicien, compositeur et dessinateur québécois Robert Marcel Lepage, qui composera la musique de mes premières explorations chorégraphiques. Préparant des tournages dans le monde entier, j’apprends beaucoup de l’organisation de la diplomatie internationale,. Je visite des lieux inédits, croise des chercheurs passionnés dans des domaines aussi variés que l’histoire, l’archéologie, les neurosciences, l’anthropologie, l’art ou la littérature. Je fais aussi des rencontres improbables comme celle de Polobi et Mudeya, deux papous membres de la tribu des Hulis de Papouasie-Nouvelle-Guinée et que j’accompagne sur le tournage de leur immersion dans la culture occidentale française.

Autant de matières qui viennent nourrir une curiosité insatiable ainsi que la maturation d’un regard et d’une réflexion sur le monde que nous vivons et faisons vivre.

En 2004 j’intègre l’école de réalisation documentaire de Jean Rouch où je réalise mon troisième film. Un film personnel qui relate un drame familial et qui a à voir avec l’ineffable. En réalisant ce film au sein d’une institution renommée comme celle des Ateliers Varan, je parviens à énoncer l’indicible à travers une parole échangée avec ma propre mère autour de photographies, permettant d’étayer l’histoire d’une filiation maternelle marquée par le silence de la raison. Cette parenthèse me confirme que j’aime beaucoup le cinéma et en particulier le cinéma documentaire, celui qui donne la parole, informe et révèle le monde, un cinéma désintéressé qui œuvre pour l’émancipation des esprits. Mais elle me laisse aussi deviner que les arts visuels et sonores ne sont pas mon domaine privilégié d’épanouissement professionnel et personnel.

Je persiste encore quelques années avant de m’orienter vers les arts du spectacle vivant. Je réalise un quatrième film puis un cinquième, tout en travaillant pour la télévision publique en tant que chargée de production et voix off pour le magazine et le documentaire. Et réalise également des magazines culturels pour la télévision ainsi que des films institutionnels pour les entreprises. Parallèlement je participe à la création du Bar à Mots, une association qui a pour vocation de promouvoir l’écriture dans les milieux populaires s’inspirant de l’esprit oulipien. L’OUvroir de LIttérature POtentielle ou OULIPO est un groupe français de littérature inventive du milieu du XXème siècle fondé par le poète Raymond Queneau et le scientifique Françoise Le Lyonnais. Je reprends la pratique de la danse et passe une licence universitaire d’Ethno-Sociologie.

En 2011 j’intègre la compagnie Caribou qui œuvre à la création de dispositifs de jeu et spectacles de rue ayant trait aux politiques du vivre ensemble, abordant les questions de citoyenneté, d’environnement et d’égalité. A son contact je vis la réalité des collectifs artistiques, leur engagement au cœur des projets de territoire, une présence et une activité qui font se rencontrer différentes instances et organisations à vocation institutionnelle ou associative. En agissant dans la rue, je développe un univers clownesque d’artiste dramatique s’exprimant dans une transversalité des pratiques de la danse et du théâtre, trompant le réel pour bousculer les réalités que l’on se crée et qui peuvent parfois passer à côté des essentiels qui font se sentir vivant et heureux de vivre.

A la croisée de cette nouvelle vie professionnelle, je développe la médiation artistique auprès de différents publics répondant à différents contextes et situations de vie. Un savoir-faire qui consiste à accompagner des individus et des groupes dans le processus de la création symbolique, utilisant les outils de théâtre et de danse que je pratique et qui m’animent. Une discipline qui s’inscrit dans le courant novateur de l’art-thérapie ou plus directement du prendre soin par les arts.

En Loire-Atlantique depuis 2017, je poursuis le développement de ces activités au cœur d’autres paysages humains et environnementaux. Une expérience de dépaysement qui me fait rencontrer un peu plus en–dedans la création contemporaine théâtrale, musicale et chorégraphique, et me motive à développer une association et compagnie du spectacle vivant, Pélopée. Enfin je suis engagée dans l’association Les Mots dans ta Valise ayant pour objet l’émancipation de la personne par la pratique de l’écriture créative.

A nourrir l’ouverture du cœur j’aime à ce que cette posture déploie des fenêtres qui font battre les cœurs à leur tour. Agir dans le sens de la préservation de l’intégrité du vivant comme le crédo d’une conduite à la fois personnelle et professionnelle.